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L’ALENA renégocié en toute discrétion

Puce noire 18 février 2014 , Christian Deblock, Gilbert Gagné

Le « traité du siècle dernier », s’il représentait alors un modèle, risque fort d’être soumis aux autres accords actuellement en négociation

Par Éric Desrosiers
Celui est une copie de l’article apparu sur Le Devoir, le 18 février 2014.
Voir l’article sur le site du Dedevoir.com

Traité commercial « du siècle dernier » qui a, depuis longtemps, donné tout ce qu’il avait à donner, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est en voie d’être profondément modifié sans qu’il y paraisse, estiment des experts.

« On est en train de renégocier l’ALENA sans le dire », a observé la semaine dernière Richard Ouellet, professeur de droit international économique à l’Université Laval, lors d’un colloque international sur les vingt ans du fameux accord commercial conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique organisé par l’Institut d’études internationales de Montréal de l’UQAM.

L’expert commence par rappeler que rien n’a été prévu dans le traité pour lui permettre d’évoluer avec la réalité et que, pire même, ses signataires n’ont pas hésité à régler certains de leurs différends — comme celui du bois d’oeuvre ou celui du Buy American Act — dans des ententes soustraites à ses règles. On se retrouve maintenant, note-t-il, avec un projet de Partenariat transpacifique en négociation entre une douzaine de pays d’Asie et des Amériques auquel « les trois pays membres de l’ALENA participent, où toutes les questions sur lesquelles porte l’ALENA sont couvertes en plus d’autres enjeux, et dont le traité, qui sera éventuellement signé, sera postérieur à l’ALENA. Les dispositions de quel accord, pensez-vous, prévaudront dans les domaines couverts par l’ALENA ? ».

Un bilan en demi-teintes

Entré en vigueur en 1994, cinq ans après l’accord de libre-échange qu’avaient, dans un premier temps, conclu entre eux le Canada et les États-Unis, l’ALENA était présenté, alors, à plus d’un chapitre comme un modèle. C’était la première fois que des pays riches et en développement concluaient un traité de libre-échange en dehors des forums multilatéraux. On y traitait non seulement de commerce des biens, mais aussi de services et de la protection des investissements. On avait prévu un mécanisme de règlement des différends et deux ententes parallèles sur la protection de l’environnement et des travailleurs.

Les résultats économiques ont généralement été à la hauteur des attentes, estime aujourd’hui André Downs, économiste en chef au ministère fédéral des Affaires étrangères et du Commerce et du Développement. La quantité, de même que la variété, des biens et des services échangés entre les trois pays ont augmenté, particulièrement dans les secteurs les plus exposés, jusque-là, à des barrières tarifaires. Comme c’est généralement le cas avec les traités de libre-échange, le maximum de retombées a été atteint au bout d’une dizaine d’années avant de se stabiliser et s’est traduit, au Canada, par une hausse du produit intérieur brut de 3,4 % (ou 64 milliards) et des gains d’efficacité pour les compagnies de presque 14 %.

L’ALENA est loin, toutefois, d’avoir été seulement un succès, observe le politologue de l’Université Bishop’s Gilbert Gagné. « Si la convergence, et même l’assimilation, politique et économique que certains avaient crainte ne s’est pas matérialisée, on n’a pas vu non plus apparaître de sentiment commun d’identité, ni de mécanisme de solidarité et de répartition de la richesse en dépit des appels répétés du Mexique. Toute la place a été laissée au marché. » Comme le dernier conflit du bois d’oeuvre l’a montré, le mécanisme de règlement des différends n’a pas mis fin non plus à la tendance du géant américain de n’en faire, parfois, qu’à sa tête avec les règles. Quant aux accords parallèles sur l’environnement et le travail, ils sont largement restés sans effet.

Un traité du siècle passé

Et puis, tant de choses ont changé en vingt ans. Il y a eu les attaques du 11-Septembre qui ont amené les États-Unis à relever leurs frontières, l’appréciation du dollar canadien, la Grande Récession, la diversification des partenaires commerciaux, mais aussi, et peut-être surtout, « le plus important pays à ne pas faire partie de l’ALENA », dit Gilbert Gagné : la Chine, et les autres économies émergentes.

Un autre phénomène tout aussi important s’est produit. Le commerce ne se pense plus en fonction de pays rivalisant les uns avec les autres en fonction de leurs avantages comparatifs, mais d’entreprises, et même de divisions à l’intérieur des entreprises, qui cherchent à se tailler une place dans de grandes chaînes de valeurs mondiales.

« Les meilleures années de l’ALENA sont derrière lui », résume le professeur de sciences politiques à l’UQAM, Christian Deblock. « L’ALENA est un traité du siècle passé », dit André Downs.

Les demandes de réformes n’ont pas manqué, de part et d’autre, au fil des ans, mais les trois pays n’ont jamais le courage, ou la volonté, de rouvrir leur traité. Au lieu de cela, ils ont mis en branle, chacun de leur côté, toute sorte d’autres négociations régionales et bilatérales.

Les accords commerciaux à venir

L’un des objectifs poursuivis par les États-Unis, avec le Partenariat transpacifique et ses négociations avec l’Union européenne, est clairement d’essayer de reprendre l’initiative dans le domaine en écartant des discussions des puissances montantes, comme la Chine, le Brésil, l’Inde et la Russie, disent nos experts.

« Est-ce une démonstration de force, ou de faiblesse, je ne sais pas », a commenté David Biette, directeur du Canada Institute au Woodrow Wilson International Center à Washington. « Le président Obama a toutes les misères du monde à se voir accorder par le Congrès les pouvoirs de négocier en ce nom [Trade Promotion Authority, anciennement appelé fast track] sans lequel aucune entente ne sera possible. »

Mais si les négociations du Partenariat transpacifique vont de l’avant, on peut s’attendre à ce qu’il touche plusieurs domaines critiques pour le Canada qui n’étaient touchés par l’ALENA ou qu’on avait mis à l’abri, a dit au Devoir, en marge du colloque, Christian Deblock. Il cite l’exemple du système de gestion de l’offre dans le secteur agricole, de l’exception culturelle canadienne, du commerce électronique, ainsi que des normes techniques.

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