Femmes et changements climatiques au Guatemala : entre vulnérabilité et « empowerment »

Sofia Ababou et Maélys Druilhe, UQAM, Chaire Raoul-Dandurand, 24 mai 2021

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) vient d’intégrer la question climatique et écologique dans son calcul de l’indice de développement humain. Le directeur du bureau du Rapport sur le développement humain du PNUD, Pedro Conceição, affirme d’ailleurs que les pays les plus pauvres du monde, soit ceux qui ont le moins contribué aux changements climatiques, pourront connaître 100 jours de plus de températures extrêmes par an. Parmi les pays du Sud, comme au Guatemala, les femmes sont les premières victimes des changements climatiques. Mais loin d’être passives, ces dernières luttent activement pour faire reconnaître leurs droits, à la croisée de la justice climatique, de la protection des droits des femmes et des peuples autochtones.

Des changements climatiques de plus en plus intenses en Amérique centrale…

Au Guatemala, l’agriculture est un pilier des économies rurales et de la sécurité alimentaire des secteurs les plus pauvres de la société. Dans ce contexte, l’intensification des changements climatiques est absolument dévastatrice, surtout pour les ménages qui dépendent des ressources naturelles pour leur subsistance. Depuis le début des années 2000, un « corridor sec » s’est formé sur pas moins de 30 % du Triangle du Nord (Guatemala, Honduras et El Salvador), de l’Océan Pacifique au nord du Guatemala, jusqu’au nord du Costa Rica. Situé au cœur de l’une des régions du monde les plus touchées par le réchauffement planétaire, ce corridor est en proie à une diminution des précipitations, une augmentation des sécheresses et des cyclones, ainsi qu’à une fréquence accrue du phénomène El Niño, et d’une acidification des océans qui participe à l’augmentation des températures. Ces modifications du système climatique altèrent considérablement les modes de vie des populations rurales et peuvent ainsi plonger des pans entiers de la société dans l’insécurité alimentaire.

En outre, des projets miniers et hydroélectriques ont provoqué des conflits avec les populations locales, et comme au Honduras, des militantes écologistes et foncières ont été assassinées au Guatemala, en toute impunité. Bien que la population autochtone reste majoritaire après des siècles de traitements abusifs et de violence, il n’en reste pas moins que les conditions de vie des quatre grands groupes autochtones (les Ladinos, les Mayas, les Garifuna et les Xinka) demeurent extrêmement précaires. Il faut dire qu’environ 59 % de la population guatémaltèque vit en dessous du seuil de pauvreté — contre 80 % pour les populations autochtones.

… Qui affectent particulièrement les femmes

Selon l’ONU, les femmes représentent 70 % des personnes pauvres dans le monde et produisent plus de la moitié des denrées alimentaires cultivées. Or, comme ce sont les personnes les plus pauvres et marginalisées — comme celles qui dépendent des récoltes pour leur subsistance — qui sont les plus vulnérables face aux changements climatiques, les femmes se retrouvent en première ligne. Entre la prégnance des inégalités économiques, des freins à l’éducation, ainsi que du sexisme endémique, elles n’ont tout simplement pas les mêmes ressources que les hommes pour lutter contre les changements climatiques. Cette réalité est exacerbée par les mesures sanitaires liées à la COVID-19. Avec le couvre-feu, la fermeture des écoles, la suspension des transports publics et l’isolement social, la situation économique et sécuritaire des femmes est considérablement affectée.

Le Guatemala présente le plus fort taux d’inégalité entre les sexes en Amérique centrale et du Sud, obtenant la dernière place du classement du Gender Gap Index. Les écarts entre les femmes et les hommes en termes d’opportunités professionnelles ou d’accès aux études supérieures perdurent à tous les niveaux de la société. L’écart d’égalité des sexes est d’environ 34 % en matière de santé, de niveau de scolarité et de participation économique, le pire résultat obtenu étant le domaine de l’autonomisation politique, dans lequel les femmes sont 89 % moins susceptibles que les hommes d’avoir des chances égales. S’ajoute à ces implacables inégalités un environnement machiste profondément insécuritaire et violent. L’Observatoire des femmes du ministère public rapporte à cet effet que les violences exercées contre les femmes représentent 71 % des crimes les plus signalés au Guatemala. De plus, cette violence devient tragiquement fatale à raison de deux fois par jour, une sombre réalité quotidienne qui pousse les femmes du monde entier à s’unir pour dénoncer les féminicides. Sous le hashtag #NiUnaMenos et à travers l’union véhiculée par l’hymne « Canción sin miedo » (Chanson sans peur) de la compositrice mexicaine Vivir Quintana, c’est non sans colère que de nombreuses femmes aspirent au changement.

Dans le monde rural, les difficultés s’accumulent pour les femmes agricultrices, et plus particulièrement, pour les femmes autochtones. Au Guatemala, ces dernières sont de loin le groupe le plus défavorisé : seules 39 % des femmes autochtones âgées de 15 à 64 ans sont alphabétisées (contre 68 % des hommes autochtones, 77 % des femmes non autochtones et 87 % des hommes non autochtones). « Nous sommes discriminés d’abord parce que nous sommes pauvres, ensuite parce que nous sommes autochtones et enfin parce que nous sommes des femmes », a déclaré Victoria Cumes Jochola, coordinatrice du groupe de défense des droits des femmes Nuestra Voz. Il en résulte des violences systémiques et un climat discriminatoire qui freine considérablement leur autonomisation. Dans un tel contexte, les personnes les plus vulnérables et donc les femmes, n’ont pas les moyens d’anticiper les impacts des changements climatiques et sont difficilement en mesure de s’y adapter.

Au Guatemala, ce sont généralement les hommes qui gèrent les ressources matérielles, sociales et politiques — et surtout, qui prennent les décisions. Dans les régions rurales du Guatemala, les tâches domestiques sont toujours considérées comme relevant principalement de la responsabilité des femmes. Si en raison de la recrudescence des migrations des hommes, les femmes commencent à acquérir une plus grande reconnaissance en tant qu’agricultrices, elles continuent à recevoir des salaires inférieurs à ceux des hommes, voire à ne pas être rémunérées du tout. « Tout le monde sait que les femmes rurales au Guatemala doivent affronter de multiples défis dans de nombreux aspects de leur vie, notamment leur accès limité à la terre, à la formation et au crédit », déclare Milvian Aspuac, coordonnatrice de l’Association des femmes pour le développement. De plus, les perceptions culturelles découragent la participation des femmes dans les groupements d’agriculteurs et les coopératives agricoles.

Des femmes en lutte, actrices de leur destinée

Loin d’être passives, les femmes guatémaltèques se saisissent des réalités de leur pays et entendent œuvrer pour la défense simultanée du territoire-corps et du territoire-Terre : c’est le féminisme communautaire. À la différence de la perspective féministe libérale qui est commune au Canada et dans l’Occident, le féminisme communautaire est un mouvement plus large et autonome qui anime tant l’Amérique centrale que l’Amérique du Sud. Le féminisme communautaire ne prétend pas imposer, mais dialoguer sur la base d’une indistinction entre les êtres vivants et la nature. Dès lors il apparait complètement incohérent de protéger une Terre sur laquelle les femmes sont violentées et tuées. Alors, dans un contexte d’exploitation transnationale des ressources, de violences sexuelles et de féminicides, il va de soi d’unir les luttes en liant le corps à la Terre.

Ainsi, les femmes s’organisent sous la forme d’associations locales et se réunissent avec les autres féministes de la région lors de rencontres continentales, pour partager leurs conceptualisations, leurs vécus et leurs engagements. C’est le cas de l’association de femmes Amixmasaj de la montagne de Xalapán, qui organisée depuis 2003 — pour la lutte contre le patriarcat, le capitalisme et leurs effets — s’est renforcée en 2008 lors de la Rencontre méso-américaine du Forum des Amériques. En luttant pour éradiquer la violence sous toutes ses formes et les discriminations à l’encontre des femmes autochtones, le groupe de femmes Asociación Grupo Integral de Mujeres Sanjuaneras (AGIMS) — situé dans la petite communauté de San Juan Sacatepequez, à 30 km au nord-ouest de Guatemala City — tente lui aussi de faire bouger les choses. Puis, un troisième exemple pourrait être le mouvement des femmes autochtones Tz’ununija’ créé en 2007 à la suite d’un long processus de discussion et d’analyse des réalités du pays. Le terme « mouvement » est ici significatif, car il s’agit de souligner une mobilité permanente orientée vers le changement. En considérant le territoire dans son intégralité, le mouvement Tz’ununija’ s’engage dans la promotion des droits des femmes et des peuples autochtones en combattant le capitalisme, le racisme et le machisme, par le croisement du féminisme et de l’écologie.

Et comme selon certaines conceptualisations autochtones, les femmes et la terre relèvent de l’ordre du sacré, de sorte « qu’outrager la Terre-mère, c’est comme abuser sexuellement d’une femme », c’est connectées par un lien indéfectible que les femmes et la terre sont unies par la nécessité de s’élever contre leurs oppressions respectives.

Crédit photo : UN Women/Ryan Brown

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