Intégration de la perspective de genre et l’aide humanitaire durant la pandémie de la COVID-19

David Beaulieu, CECI (Sénégal), 14 mars 2022

La pandémie de COVID-19 a exposé les nombreux systèmes défaillants, entraînant, d’après un rapport d’ONU Femmes, une plus grande précarité pour les personnes déjà vulnérables, en raison de leur âge, leur pauvreté́, leur ethnie et/ou leur genre. Les inégalités entre les sexes et la discrimination sont omniprésentes et le fait d’être une femme ou une fille expose à des risques et des obstacles supplémentaires, comme l’escalade de la violence basée sur le genre constatée en période de confinement. Mener une action humanitaire qui intègre la perspective de genre et analyse les sources de discriminations afin de favoriser l’égalité entre les sexes est donc essentiel. Il s’agit à la fois d’un moyen pour protéger les personnes les plus vulnérables et pour lutter de façon efficace contre la pandémie. Cela représente également une occasion de considérer l’égalité comme une finalité en soi.

L’aide humanitaire, les femmes et les filles

L’aide humanitaire est offerte dans des situations d’urgence par des organisations qui agissent pour sauver des vies, protéger les droits, assurer la sécurité́ et préserver la dignité humaine. Lors de situations complexes qui exigent une intervention rapide, les questions en lien avec l’égalité́ des sexes peuvent se voir négligées. Pourtant, la compréhension de la dynamique entre les sexes est un élément incontournable de l’efficacité́ de l’aide. Il est possible de constater par exemple dans les camps de réfugiés qu’une perspective de genre favorise une adoption rapide de pratiques sensibles aux besoins des femmes et des filles avec la collecte systématique de données ventilées par sexe pour la mise en place de services et la distribution de matériel humanitaire. Les femmes et les filles en difficulté ont ainsi de meilleures chances d’accéder à la nourriture, aux soins de santé́ et à une protection contre la violence.

Néanmoins, les femmes et des filles réfugiées ou déplacées demeurent marginalisées dans ces milieux, et plus à risque d’être exclues des campagnes d’information et des services essentiels. Elles sont les premières victimes des crises humanitaires et continuent d’être sous-considérées dans les processus de réhabilitation post-crise. Elles font face à des problématiques découlant de leur genre, comme un accès restreint aux soins relevant de leur santé sexuelle et reproductive. Comme l’illustre le cas du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, les femmes et les filles en situation de précarité financière courent également un risque plus élevé d’abus et d’exploitation sexuels. Par ailleurs, la perte de moyens de subsistance occasionnée par la crise, et le manque de ressources financières pour accéder aux soins de santé est l’une des causes principales du « sexe transactionnel » chez les femmes et les filles. Ainsi, lorsque les vulnérabilités préexistantes ne sont pas suffisamment prises en compte, les interventions humanitaires ne répondent pas de façon systématique et adéquate à leurs besoins spécifiques.

Une analyse sexospécifique permet ainsi une réponse plus appropriée des acteurs de l’aide. De plus, l’approche sexospécifique de l’aide humanitaire présente un double intérêt, car elle permet de remédier aux disparités de genre au sein des structures humanitaires, en plus de perfectionner la réponse aux besoins de chaque membre des communautés affectées. Par exemple, le personnel humanitaire déployé lors d’une crise, telles les forces de maintien de la paix, est largement masculin, les femmes ne constituant que 6.6% des casques bleus. L’intégration d’un nombre plus élevé de femmes occupant ces postes est garant d’une meilleure intégration du genre dans la réponse d’urgence, mais également d’une performance globalement améliorée. Néanmoins, l’approche dominante d’action humanitaire demeure trop souvent limitée à la réponse aux besoins essentiels en soins, en vivres et en eau potable plutôt qu’à une réponse adaptée aux spécificités des différents segments des populations affectées.

Lutter de façon efficace contre la pandémie

La COVID-19 a mis en évidence et exacerbé les inégalités préexistantes qui ont suscité des interventions d’envergure de la part des gouvernements et des organisations. La pandémie constitue une grave menace pour les droits à la vie et à la santé des peuples du monde entier. Elle exige une réponse basée sur la complémentarité́ des interventions, fondée sur les droits de la personne et sur une intégration du genre. L’accès aux services de santé comme la santé sexuelle et reproductive est entravé dans des pays faisant face à de graves insuffisances dans ce domaine. De surcroit, les besoins liés à la réponse à la pandémie peuvent détourner les ressources allouées à ces services de santé qui touchent plus spécifiquement les femmes. Ces dernières font face aussi à une augmentation de la violence sexuelle et basée sur le genre dans ce contexte de crise en raison des tensions accrues au sein du foyer et de l’isolement. Les populations vulnérables, parmi lesquelles on comptait en 2020 48 millions de femmes et de filles et 4 millions de femmes enceintes, ont subi, et continuent de subir différemment les effets de la COVID-19.

La participation des femmes et des filles dans tous les processus de prise de décision pour faire face à la pandémie de COVID-19 doit donc être effective, de même que la collaboration des spécialistes en genre à tous les niveaux de l’élaboration des politiques et des programmes humanitaires. Cela a pour but de mieux tenir en compte les besoins spécifiques des femmes, de prévenir les violences basées sur le genre, les prendre en charge et considérer les services et soins en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs comme essentiels. Il convient que ces initiatives soient stratégiques, opérationnelles et non seulement cosmétiques et à court terme, engendrées par des déclarations publiques ou la mise en place de politiques féministes. Ces stratégies doivent parallèlement aborder l’autonomisation des femmes afin d’atténuer l’impact de la pandémie, notamment en accompagnant leur rétablissement postpandémie et en renforçant leur résistance aux chocs futurs. Ainsi, les femmes ne sont pas qu’un groupe vulnérable, mais aussi une ressource inestimable dans la prestation de l’aide, la résolution de conflits et la reconstruction des sociétés.

La politique féministe du Canada et l’égalité comme finalité

Il est vrai qu’une application plus soutenue d’une perspective de genre est nécessaire pour des questions d’efficacité de l’aide humanitaire dans les circonstances actuelles. Certes, il ne faut pas confondre les processus et les résultats. L’approche qui tient compte du genre n’est pas forcément synonyme de réduction des rapports inégalitaires de pouvoir comme finalité. La Politique d’aide internationale féministe du Canada favorise, par exemple, le renforcement de la réponse humanitaire par l’intégration du genre, mais l’emphase sur l’efficacité humanitaire se fait-elle au détriment d’une égalité des genres à titre de finalité ? D’après une étude réalisée auprès de l’UNICEF, les mesures d’intégration de la dimension de genre ne saisissent pas suffisamment les changements nécessaires pour offrir une programmation transformatrice et remédier aux disparités. Celles-ci ne doivent pas se limiter à un exercice de case à cocher dans un contexte de pandémie ou de crise humanitaire. Il s’agit plutôt d’une occasion d’atteindre l’égalité entre les genres par le biais d’analyses intersectionnelles approfondies et d’initiatives inclusives sur le long terme visant l’autonomisation des femmes.

Pour mieux reconstruire après la crise

Les moments de crise tels que la COVID-19 peuvent donc être des occasions afin d’effectuer des prises de conscience sur les inégalités exacerbées entre les femmes et les hommes pour prise en compte plus systématique de cet enjeu en contexte post-pandémique. Il est toutefois nécessaire de garder à l’esprit la nature éphémère des réponses aux crises humanitaires et que la mise en place d’une perspective de genre ne doit pas reposer strictement sur une plus-value au niveau de l’efficacité. L’intégration du genre peut soutenir les efforts et améliorer la qualité des interventions de lutte contre la pandémie. Elle doit cependant aussi servir à mieux reconstruire après la crise, avec une équité intersectionnelle entre les sexes. Un rapprochement des interventions d’aide humanitaire et d’aide au développement, par l’application systématique de l’approche dite « nexus », s’avère prometteur à cet égard. Elle se traduirait à une collaboration stratégique entre acteurs, une vision à long terme et une synergie afin d’améliorer la capacité des États à mieux lutter simultanément contre la pandémie et les inégalités entre les femmes et les hommes.

Crédit photo : UN Women/Fahad Adbullah Kaizer, sous licence CC BY-NC-ND 2.0

Ce texte est une version actualisée d’un texte préalablement diffusé ici:

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