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La politique européenne d’immigration et d’asile entre expansion et résistances


La politique européenne d’immigration et d’asile est le résultat d’un processus de redéfinition des frontières lié à la structuration d’un espace politique européen et à l’établissement des rapports avec ses périphéries directes. La signature des Accords de Schengen en 1985, du Traité de Maastricht en 1992 et l’intégration de l’Acquis Schengen au droit communautaire par le Traité d’Amsterdam, signé en 1997, ont amorcé la constitution d’un espace européen de circulation intérieure. Cela a alors rendu nécessaires une gestion commune des frontières extérieures et une distinction entre ressortissants communautaires et extracommunautaires, forçant à lutter contre les migrations irrégulières à l’intérieur comme au limes européen. Comme le prévoit le Traité de Nice entré en vigueur en 2003, les décisions concernant l’asile et l’immigration sont prises à la majorité qualifiée.

Depuis les années 1990, avec l’enlisement du Processus de Barcelone censé lancer un Partenariat euro-méditerranéen et la désintégration des Balkans, la politique européenne d’immigration et d’asile cherche à sécuriser les frontières extérieures de l’Union européenne en impliquant les États tiers dans la lutte contre les migrations irrégulières. La mise en œuvre de cette politique s’appuie sur deux logiques ségrégatives : il s’agit d’une part d’opposer les réfugiés politiques et les migrants économiques déguisés, et d’autre part de sélectionner les immigrés selon les intérêts européens. C’est alors qu’apparaissent difficultés et contestations, particulièrement chez les États tiers appelés à coopérer activement à la mise en œuvre de la politique européenne.

Mise en place d’une politique européenne d’immigration et d’asile

En juillet 1998, un document du gouvernement autrichien offre de renforcer la coopération européenne en matière de migrations et d’asile pour mener, à terme, une politique d’accueil des réfugiés et d’immigration autonome et proprement européenne. En 1999, la création d’un Groupe de Haut Niveau sur l’asile et l’immigration entérine les priorités du Conseil européen : signer des accords bilatéraux avec les pays tiers en matières migratoires, imposer la coopération des pays tiers en matières migratoires dans toute négociation avec l’Union européenne et mettre en place une coordination avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et l’Organisation Internationale des Migrations. Des plans d’actions sont décidés vis-à-vis de plusieurs pays pour lancer cette politique ; deux groupes d’États ressortent des préoccupations européennes : les Etats instables créant des flux de réfugiés (Irak, Afghanistan, Somalie, Sri-Lanka) et les États de transit donnant accès à l’espace Schengen (Maroc, Albanie).

Approfondissant la politique européenne, le Conseil européen définit en octobre 1999 à Tampere les intérêts européens en matière d’immigration en fonction des besoins économiques et démographiques. Concernant l’asile, la Convention de Dublin, signée en 1990, et le règlement Dublin II, adopté en février 2003, empêchent les demandes d’asiles multiples et rend le premier État où est déposée une demande responsable de la décision définitive. Le Pacte Européen sur l’Immigration et l’Asile, signé à l’automne 2008 sur proposition française, met quant à lui en place des outils pour attirer les émigrants qualifiés, invite à unifier les procédures d’octroi de l’asile politique et réaffirme le principe d’une immigration sélective sur des critères utilitaires en poursuivant le développement des moyens opérationnels de lutte contre l’immigration irrégulière.

Éparpillée entre le premier et le troisième pilier, la politique européenne d’immigration et d’asile se déploie alors aussi bien à l’intérieur de l’Union qu’à l’extérieur. La constitution progressive en Europe et dans son espace proche d’un régime migratoire informel et systématique s’est appuyée sur l’octroi de moyens accrus, en termes financiers, techniques et politiques, pour mener à bien ses objectifs. Cette politique s’est renforcée aux grès des turbulences du système international : les guerres en Afghanistan et en Irak ont entrainé des flux de réfugiés depuis l’Asie vers l’Europe, comme celles en Somalie, en Erythrée, en République Démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire à partir des côtes ouest-africaines ou marocaines jusqu’aux côtes libyennes, maltaises et grecques.
On assiste alors à la fin de toute distinction rigide entre sécurité intérieure et extérieure, comme en témoigne l’institutionnalisation de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, proclamé depuis le Traité de Maastricht et reconnu dans le Traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009. Cela a notamment conduit, dans l’organisation institutionnelle de l’Union, à un regroupement des compétences entre politique d’immigration et d’asile, politique de lutte contre la criminalité, l’immigration irrégulière et le terrorisme et politique de coopération interne et externe.

Opérationnalisation de la politique européenne

La mise en œuvre de cette politique communautaire entraîne la création de plusieurs dispositifs. Depuis 2003, pour faire face à ce qu’elle perçoit comme une pression sur ses frontières l’Union soutient le déploiement du Système Intégré de Vigilance Extérieure (SIVE) et érige des barrières de sécurité sophistiquées sur les côtes Sud de l’Espagne et ses enclaves au Maroc. De même, suite à la Convention de Dublin, le système Eurodac est depuis 2003 en charge du partage de l’information entre les États membres, notamment des empreintes digitales de tous les demandeurs d’asile de plus de 14 ans. Il vient ainsi compléter le Système d’Information Schengen, actif depuis 1995.

Cette militarisation des méthodes de surveillance et de contrôle des frontières est également soutenue par l’agence européenne Frontex, importante pierre de l’édifice sécuritaire européen. Opérationnelle depuis 2005, cette agence doit produire des analyses, faciliter la coopération entre États membres, mais aussi avec les États tiers, organiser des opérations communes et assister la formation du personnel chargé de la surveillance des frontières extérieures. Durant l’année 2008, l’opération HERA a ainsi permis d’identifier les routes maritimes allant vers les Canaries, améliorant la surveillance aérienne et maritime de la zone. Une Équipe d’Intervention Frontalière Rapides (RABIT) était créée l’année précédente pour soutenir, sur demande, un membre en cas de crise. L’agence s’occupe également de lutter contre la contrefaçon des visas Schengen, les seuls permettant d’accéder aux territoires de tous les États membres. L’ampleur croissante des moyens démontre l’importance de cette question pour l’Union européenne : entre 2005 et 2008, le budget de l’agence passe de 6 à 70 millions d’euros, traduisant l’augmentation de ses activités opérationnelles multinationales ; il sera de 88 millions d’euros en 2010.

Pour ce qui est de l’externalisation de la gestion de l’immigration, un processus expérimental a débuté avec l’inauguration en octobre 2008 d’un Centre d’Information et de Gestion des Migrations pour traiter les demandes depuis le Mali. Également, une proposition anglaise, faite au Sommet de Thessalonique en juin 2003, allait dans le sens de la déterritorialisation de la gestion des demandes d’asile, dans des centres où les demandeurs attendraient la réponse en périphérie de l’Union ; retirée suite à de nombreuses critiques, cette solution est néanmoins reprise pour être testée dans le cadre du Programme de La Haye adopté en novembre 2004.

Risques et difficultés de la politique européenne

Grâce à la puissance économique des États membres et à une politique stricte de conditionnalité, l’Union européenne a pu diffuser largement ses discours, ses normes et ses pratiques sécuritaires de manière effective dans son espace proche, notamment au Maghreb, en Europe Orientale et dans les Balkans. Les accords bilatéraux de réadmission -qui engagent les parties à accueillir leurs ressortissants expulsés- entre ces régions, mais aussi avec l’Afrique Centrale et l’Asie Centrale, et les États membres les plus concernés dessinent un espace structuré autour des principes européens de gestion de l’immigration et de l’asile. Néanmoins, les échecs successifs de signature d’accords communautaires de réadmission, qui engagent l’Union et l’ensemble des États membres avec les États maghrébins et subsahariens, témoignent de leur capacité de négociation et de défense de leurs ressortissants et de leurs intérêts. Il s’agit là pourtant d’un enjeu de taille pour concrétiser cette externalisation et la marche annoncée vers un « programme de retour intégré » européen.

Par exemple, la « directive retour », qui officialise la possibilité de la réadmission des clandestins dans un pays de transit et fixe la durée maximale de la rétention à 18 mois, nécessite une coopération extérieure accrue. Elle est alors tributaire de concessions européennes sur le transfert de moyens opérationnels, d’un soutien financier à la sécurité et au développement, et d’une prise en compte des différents intérêts des États d’émigration et de transit, notamment en termes d’attribution de visas ou d’accords de travail temporaire pour leurs ressortissants.

Les questions de respect des droits humains, du principe de l’asile et de la dignité des exilés suscitent également un grand nombre de critiques. Alors que les conditions de vie difficiles et les violations des droits humains dans les pays de transit sont ignorées, que les conditions de la rétention en Europe se dégradent et que la xénophobie et les violences communautaires réapparaissent ponctuellement, il n’existe aucune véritable politique de lutte contre l’emploi des immigrés en situation irrégulière, dans les exploitations agricoles de l’Europe méditerranéenne, dans les entreprises d’Europe occidentale et chez les particuliers de toute la région. C’est pourtant là une source de non respect de la dignité humaine et des droits des travailleurs.

Enfin, les cascades de sous-traitances du travail à des entreprises employant des migrants en situation irrégulière diluent les responsabilités de l’emploi des clandestins. De même, l’externalisation de la politique européenne d’immigration et d’asile et de la sécurité de ses frontières extérieures a brouillé les responsabilités humaines de la réalisation de cette même politique, et écartelé la notion de frontière entre zones d’attente, centres de rétention, camps informels et zones de non-droit.

Pour aller plus loin :

http://www.reseau-terra.eu/
http://conflits.revues.org/
http://www.touteleurope.fr/
http://www.mirem.eu/donnees/accords/

Mots-clés : Points de mire
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