Devant l’ampleur de la tragédie écologique et humaine qui sévit en Australie cet hiver – 28 morts, 500 000 animaux disparus, 80 000 kmde terres incendiées –, les appels à la solidarité se multiplient d’un bout à l’autre de la planète.

La comédienne australienne Celeste Barber est parvenue à amasser plus de 44 millions de dollars pour le NSW Rural Fire Service. À l’autre bout de la planète, Kaylen Ward, une Américaine de 20 ans, a promis d’envoyer (en privé) une photo d’elle nue à tous ceux qui faisaient parvenir de l’argent à la cause. En trois jours, The Naked Philanthropist a permis de récolter 700 000 $.

Que peut apporter tout cet argent dans la situation que traverse l’Australie ? Franchement, pas grand-chose. Même si la générosité est sincère et que l’argent est donné en toute bonne foi, la philanthropie arrive ici à ses limites.

À titre de membres du PhiLab, un réseau universitaire regroupant des chercheurs sur le thème de la philanthropie, il nous semble pertinent d’exposer publiquement une question capitale : dans un contexte où les catastrophes naturelles seront de plus en plus liées à la crise climatique, la philanthropie classique conserve-t-elle sa pertinence ?

Trois limites

Devant l’ampleur des besoins, la philanthropie classique a trois limites qui l’empêchent de rendre les services qu’on attend d’elle. D’abord, l’argent ne peut pas tout reconstruire. Ensuite, la philanthropie ne doit pas servir à blanchir les consciences. Enfin, la philanthropie classique soutient une économie non durable.

Si une bonne campagne de financement peut aider les citoyens à rebâtir les maisons ou un site patrimonial emportés par les flammes, l’argent ne ramènera pas au naturel les écosystèmes – mammifères, marsupiaux, insectes, végétaux – réduits en cendres.

Quand les dommages affectent la biodiversité, certaines de ses composantes sont irremplaçables.

L’argent ne « reconstruit » pas une espèce vivante comme il restaure une cathédrale, quelle que soit sa portée symbolique, pour bien tracer la limite avec la situation récente de l’incendie de Notre-Dame de Paris qui avait elle aussi donné lieu à une mobilisation philanthropique d’une grande intensité. En d’autres termes, les campagnes de collecte de fonds ne ramèneront pas les koalas disparus.

Face à une catastrophe, on a tous envie de « faire quelque chose ». Mais il ne faut pas que notre don soit une façon de se dédouaner, un peu à la manière du pollueur qui paie une taxe supplémentaire plutôt que d’adapter ses installations aux nouvelles normes de qualité de l’air.

Autrement dit, c’est le syndrome du pollueur-payeur que nous retrouvons dans le don de bonne conscience. Si je m’acquitte d’une taxe, je m’octroie alors le droit de ne pas changer d’attitude.

La philanthropie classique ne présente-t-elle pas, malgré elle, une solution à des comportements incompatibles avec les limites biophysiques de la Terre ? Le don s’efforce sans succès d’éteindre les flammes, mais surtout d’étouffer un autre incendie : celui des responsabilités humaines dans les dérèglements climatiques et des changements nécessaires à faire dans le quotidien de la minorité des bien nantis de la planète.

Car – c’est la troisième limite – la philanthropie classique tend à soutenir une économie traditionnelle, non durable.

« Donnez à l’Australie »

Le 5 janvier dernier, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a exhorté les Canadiens à faire un don pour aider l’Australie. Est-ce le rôle du chef d’État de faire appel aux liquidités du grand public pour colmater les brèches d’un système qui devrait plutôt se repenser pour inclure des objectifs de développement durable réclamés par la population ? Où sont les actions politiques responsables ? Où sont les normes et règlements cohérents qui accompagnent cet élan de solidarité international ?

Pour relever le défi de ce siècle, il est urgent que les décideurs politiques ne se cachent pas derrière la solidarité citoyenne et proposent des mesures durables contre les effets du réchauffement climatique.

L’Australie comme le Canada peuvent mieux faire pour préserver leur patrimoine naturel. L’Australie a un grand nombre de sites inscrits au patrimoine mondial qui sont mis en péril* par des activités industrielles néfastes, qu’ils soient naturels ou mixtes. Les vieilles méthodes d’exploitation des ressources sur lequel le pays s’est construit, comme les activités minières, se ressentent fortement aujourd’hui. Si l’Australie ne fait pas tous les efforts pour préserver son patrimoine naturel, ce dernier fait partie de l’équation nécessaire pour la survie globale de la planète. Nous avons tous et chacun la responsabilité de préserver ce patrimoine et la philanthropie peut aider, si et seulement si elle se pose comme outil citoyen au service des changements durables à opérer, et non comme le geste d’une pensée magique.

>* Lisez le rapport de WWF International

* Cosignataires : Diane Alalouf-Hall, doctorante à l’UQAM, chercheure au PhiLab – Région du Québec ; Jean-Marc Fontan, professeur à l’UQAM, codirecteur, Réseau PhiLab – Canada ; et David Grant-Poitras, doctorant à l’UQAM et chercheur au PhiLab – Région du Québec. Caroline Bergeron est également directrice du PhiLab, Région du Québec

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