Opinion : COVID-19

L’acceptabilité sociale au temps du coronavirus

Il n’y a pas un point de presse où les Québécois ne sont pas félicités pour leur compréhension et leur collaboration pour contenir le coronavirus ; mais au fur et à mesure que les consignes se durcissent, on peut se demander ce qui nourrit cette résilience bienveillante qui pourrait prendre l’allure d’une résignation. Car persuader toute une population de rester à la maison n’est pas facile. C’est un art qui doit faire converger la conscience de la gravité du problème avec le degré d’effort demandé.

En France, les sévères mesures de confinement ont été d’abord mal accueillies et la police a dû intervenir pour disperser les citadins venus profiter du soleil printanier. Après une courte période d’information et de sensibilisation, les policiers ont commencé à distribuer des constats d’infraction qui se chiffraient à plus de 90 000 cas en début de semaine. Or, l’amende pour récidive pourrait s’élever à plusieurs milliers d’euros en plus d’une peine d’emprisonnement de plusieurs mois.

Le Québec n’en est pas là ; si les consignes sont moins strictes qu’en France, le gouvernement se félicitait qu’elles soient suivies par la majorité de la population québécoise lors du point de presse du 25 mars dernier. Il est vrai que la fermeture des entreprises décrétée en début de semaine a suscité des remous, mais on peut avancer que les mesures prises jusqu’ici jouissent d’une excellente acceptabilité sociale. Comment l’expliquer ?

D’entrée de jeu, on peut constater que la composante publique de la gestion de crise et la stratégie communicationnelle retenues par le gouvernement ont respecté un crescendo qui a laissé le temps à la population de prendre connaissance du contexte et de s’approprier la justification des mesures. Chaque point de presse est habilement structuré : il débute par les faits, annonce les mesures restrictives ainsi que les soutiens, et est ponctué de remerciements à l’endroit des professionnels et de la population en général. La période de questions est l’occasion de préciser certains aspects plus techniques, à commencer par la dynamique exponentielle de toute épidémie. À travers ces points de presse quotidiens, le gouvernement a su asseoir l’ensemble des ressorts de légitimité qui sous-tendent l’acceptabilité sociale des décisions publiques.

L'appui de la science

Tout d’abord au plan des légitimités technique et procédurale, le gouvernement a fait le pari d’un appui solide sur la science et l’expertise que conforte la participation systématique de la ministre de la Santé et des Services sociaux et du directeur national de santé publique aux points de presse. La période de questions est l’occasion d’expliquer les principes épidémiologiques de base en s’appuyant sur les études pertinentes et l’actualité scientifique internationale. De leur côté, les médias ont fait un travail considérable de sensibilisation et d’éducation qui a largement contribué à la compréhension des enjeux de la contagion. La seule ombre au tableau est peut-être l’apparente incohérence de maintenir ouvertes les succursales de la SAQ et de la SQDC alors que tous les commerces non essentiels ont été « mis sur pause », même si ce maintien facilite certainement l’acceptabilité globale des mesures plus difficiles.

La légitimité technique des mesures de lutte contre le coronavirus a par ailleurs nourri la légitimité intrinsèque ou substantielle de ces mesures : bien expliquées, elles apparaissent pertinentes ; mais surtout, elles ont été adoptées de manière progressive, toujours en lien avec l’évolution factuelle de l’épidémie.

En dernier lieu, l’acceptabilité sociale des mesures bénéficie de la légitimité personnelle d’un premier ministre qui présente une image de contrôle de la situation tout en ayant une attitude de bon père de famille, de celle d’une ministre qui évolue depuis longtemps dans le milieu de la santé, et enfin de celle d’un directeur de santé publique qui conjugue habilement compétences, empathie et humour. Le tout inspire la confiance envers les autorités, un élément essentiel de l’acceptabilité.

Ajoutons, comme le reconnaît le premier ministre Legault, que le Québec est « en avance » parce que sa réponse a pu être planifiée plus tôt que dans d’autres pays déjà frappés de plein fouet par la pandémie.

La situation que connaissent tout autant l’Italie que la France et l’expérience vraisemblablement réussie de la Corée du Sud sont autant de scénarios qui frappent l’imaginaire et confortent l’acceptabilité sociale des mesures prises aujourd’hui par Québec.

Pour consentir aux multiples sacrifices qui sont exigés d’eux, les citoyens font le pari d’un soutien promis par le gouvernement du Québec, mais qui sera en grande partie tributaire du fédéral. Or, ces mesures de soutien sont centrales à l’acceptabilité sociale des prescriptions de confinement et de la pause économique décrétées par le gouvernement même si, au bout du compte, c’est assurément l’issue de cette pandémie qui viendra sceller une acceptabilité sociale certes acquise, mais tout aussi fragile que douloureuse.

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