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Fini, les discussions de corridor : la diplomatie passe au télétravail

Pour le Canada, la course au Conseil de sécurité des Nations unies s’annonce plus compliquée.

Vue générale de l'Assemblée générale des Nations unies au siège de l'ONU à New York, États-Unis, le 1er octobre 2018.

La salle de l'Assemblée générale des Nations unies au siège de l'ONU à New York, le 1er octobre 2018 (archives)

Photo : Reuters / Brendan McDermid

Les événements sportifs et culturels ne sont pas les seuls à être annulés à cause de la COVID-19. La pandémie force également le report de nombreuses rencontres internationales, comme la COP26, qui devait avoir lieu à Glasgow. Ce ralentissement diplomatique risque de compliquer les démarches déjà ardues du Canada pour obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.

C’était au début du mois de février. Justin Trudeau s’envolait vers Addis-Abeba, en Éthiopie, pour promouvoir la candidature canadienne au Conseil de sécurité. Le premier ministre avait alors multiplié les rencontres bilatérales et les poignées de main avec ses homologues. À l’époque, la scène était banale. Aujourd’hui, elle semble carrément impensable.

En quelques mois à peine, la COVID-19 a relégué les flaflas protocolaires aux oubliettes. Fini, les grands-messes diplomatiques avec des réceptions élégantes et le crépitement des flashs des caméras. Dorénavant, les dirigeants se rencontrent par vidéoconférence, à partir de leur salon.

Justin Trudeau marche devant des membres de la garde éthiopienne.

Justin Trudeau procède à une inspection de la garde à son arrivée à Addis-Abeba, en Éthiopie.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

On n’est pas habitués à fonctionner de cette façon-là, lance le diplomate à la retraite Gilles Rivard. Si les chefs d’État continuent d’échanger grâce à la technologie, le contact de personne à personne appartient à une époque révolue… Tout comme les fameuses discussions de corridor.

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Vous n’avez pas idée comment une conversation informelle entre deux ministres peut faire avancer des dossiers, souligne celui qui a déjà été ambassadeur aux Nations unies. C’est fascinant de voir comment [ils] peuvent développer des relations personnelles avec leurs homologues.

Pour M. Rivard, qui oeuvre maintenant à l’Institut d’études internationales de Montréal, le ralentissement des activités diplomatiques n’aurait pas pu arriver à un pire moment pour le Canada.

Ottawa participe en effet à l’une des élections les plus compétitives de l’ONU : celle pour obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité. Bien avant la crise du coronavirus, des observateurs soulignaient que le Canada devrait mettre les bouchées doubles pour se démarquer de l’Irlande et de la Norvège.

Le timing est mauvais pour le Canada, parce qu’on est vraiment dans le dernier droit. Le vote doit encore avoir lieu en juin.

Une citation de Gilles Rivard, ex-diplomate

Je suis sûr qu’en ce moment, le ministre [des Affaires étrangères, François-Philippe] Champagne voudrait voyager à travers la planète pour mousser la candidature canadienne, mais c’est impossible pour les raisons qu’on connaît, indique M. Rivard.

Le bureau de François-Philippe Champagne confirme avoir dû annuler entre trois et cinq voyages depuis le début de la crise, tout en soulignant que le ministre avait participé à plusieurs événements par vidéoconférence.

La société civile forcée de se repositionner

Au-delà des jeux électoraux à New York, des acteurs humanitaires constatent aussi que certains dossiers sont au point mort. C’est le cas de l’organisme Humanité et Inclusion, qui milite notamment pour stopper les bombardements dans les zones densément peuplées.

Ces bombardements ont un impact humanitaire très important sur les civils, mais aussi sur les infrastructures et les pays tout entiers, précise son directeur au Canada, Jérôme Bobin.

Photographie aérienne d'un village syrien en ruines après avoir été bombardé.

La province d'Idlib est la cible de bombardements russes soutenus.

Photo : Getty Images / Omar Haj Kadour

L’ONG travaille sur ce dossier depuis environ une décennie. Après avoir passé des années à faire du lobbying aux quatre coins du monde, ses efforts allaient aboutir à la fin du mois de mai. Une centaine de pays, dont le Canada, devaient se rencontrer à Dublin pour adopter une déclaration en ce sens.

Mais la COVID-19 est venue brouiller les cartes. Malheureusement, avec la crise du coronavirus, tout ça a été reporté, même si on continue de travailler sur le sujet, , explique en effet M. Bobin.

Notre premier réflexe, c'était la déception, mais on n’a pas le droit d’être déçus. Il y a une crise majeure qui nous touche tous.

Une citation de Jérôme Bodin, directeur pour Humanité et Inclusion au Canada

Amnistie internationale affirme aussi avoir dû modifier son calendrier et reporter certaines campagnes. L’organisme de défense des droits de la personne indique par ailleurs que les communications avec le gouvernement ont été difficiles au début de la crise.

On accusait réception de nos demandes, mais de là à ce que ces demandes soient remontées vers les hauts fonctionnaires, les ministres ou les députés, il y avait quand même une marge, affirme France-Isabelle Langlois, directrice générale d'Amnistie internationale Canada francophone.

Si la situation s’est depuis stabilisée, les difficultés persistent. C’est certain que la situation de pandémie rend les choses difficiles et les énergies à mettre sur des enjeux internationaux sont moins là, disons, explique-t-elle.

Le directeur d'Amnistie internationale en Belgique, Philippe Hensmans, se tient dans une cage devant l'ambassade turque à Bruxelles pour dénoncer la détention de sa collègue Idil Eser.

Amnistie internationale est connue pour ses campagnes-chocs. Ici, son directeur directeur en Belgique, Philippe Hensmans, manifestait contre la détention de sa collègue Idil Eser (archives).

Photo : Reuters / Francois Lenoir

Les organisations non gouvernementales ont donc dû revoir leurs revendications sous le prisme de la pandémie. Ainsi, leur attention se tourne maintenant sur les conditions carcérales des prisonniers politiques ou encore sur l’offre de soins de santé dans les zones de conflit ou dans les camps de réfugiés.

La COVID touche à l’ensemble des droits humains et à l’ensemble du monde, souligne Mme Langlois. Les préoccupations qu’on avait avant sont encore là, mais on doit ajouter l’élément de la pandémie et voir à quel point ça les amplifie.

La routine des ambassadeurs étrangers bousculée

Chaque matin, Dimitris Azemopoulos enfourche son vélo et pédale jusqu’à son bureau presque vide du secteur du Golden Triangle, au cœur d'Ottawa. En dépit des circonstances exceptionnelles, l’ambassadeur grec au Canada ne chôme pas, bien au contraire.

On fait tout! Rien ne change au niveau des services, mais il faut le faire d’une manière différente, dit-il. On continue à rédiger des rapports et à garder le contact avec nos homologues, parce que la vie doit continuer.

J’ai une expérience de près de 30 ans au ministère grec des Affaires étrangères et c’est la première fois que je dois faire face à un défi pareil.

Une citation de Dimitris Azemopoulos, ambassadeur de la Grèce au Canada

Si les services consulaires sont toujours offerts à distance, la situation en est toute autre pour les occasions spéciales. L’ambassadeur a en effet dû annuler plusieurs événements. À la fin du mois de mars, des centaines de personnes étaient, par exemple, conviées à la fête nationale grecque, qui n’a pas pu avoir lieu.

Dimitrios Azemopoulos pendant une conversation Skype

Dimitrios Azemopoulos est basé au Canada depuis plusieurs années. Avant d'être ambassadeur à Ottawa, il était consul général à Toronto.

Photo : Radio-Canada

[Ce genre d’événement] fait partie de notre vie quotidienne comme diplomate. On cultive les liens avec nos homologues, les autres diplomates, les ministres, toutes ces personnes, explique l’ambassadeur. Notre vie n'est peut-être pas si fascinante pendant le coronavirus, mais il faut suivre cette voie pour ne pas avoir plus de problèmes.

Comme plusieurs, Dimitris Azemopoulos croit que la pandémie pourrait avoir du bon et forcer certains changements de société. Mais pour le moment, il a surtout hâte de retrouver ses collègues et ses homologues...pour que le silence de son bureau soit remplacé par des discussions de corridor.

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