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Cyprien Bassamagne Mougnok

Crise de gouvernance et de légitimité politique au Brésil : quel avenir pour la présidente Dilma Rousseff ?

31 mai 2015

En s’engageant en janvier 2014 – lors de son discours d’investiture à la
présidence du Brésil – à assainir les finances publiques et à relancer la
croissance économique du pays, Dilma Rousseff reconnaissait implicitement
que son pays traverse ce qu’il est convenu d’appeler une « crise » de
gouvernance. Cependant, elle n’avait sans doute pas imaginé que seulement
trois mois après le début de son second mandat, la population vibrerait au
rythme de cette crise au point d’en arriver à revendiquer sa destitution. Si,
au regard des faits, la probabilité d’une destitution paraît plutôt limitée,
tout porte à croire que ce second mandat sera un véritable chemin de croix
pour la présidente Rousseff, qui devra composer avec une conjoncture
particulièrement difficile.
Un pays confronté à une crise de gouvernance
Le Brésil traverse actuellement une tempête d’ordre politique et socioéconomique qui
a été en bonne partie provoquée par le scandale de corruption qui affecte la
compagnie pétrolière nationale Petrobras. Révélée en mars 2014, cette affaire a pris
une ampleur sans précédent depuis le début de l’année 2015 à la suite de la décision
de la Cour suprême d’autoriser une enquête sur au moins 49 personnalités politiques
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du pays, dont les présidents du Parlement et du Sénat, ainsi que le trésorier de la
formation politique de la présidente Dilma Rousseff, le Parti des travailleurs (PT). La
plupart de ces hommes politiques, qui sont issus de la coalition gouvernementale,
sont soupçonnés d’avoir participé à un vaste réseau de corruption impliquant de
grandes entreprises brésiliennes de BTP (bâtiment et travaux publics), qui auraient
surfacturé pendant de nombreuses années des contrats signés avec Petrobras. En
contrepartie, ils auraient perçu des pots-de-vin de la part de ces entreprises, ce qui
leur aurait permis de financer leurs campagnes électorales de 2010. Les sommes
détournées s’élèveraient à 4 milliards $ US. Le nom de la présidente Rousseff
n’apparaît jusque-là nulle part dans le réquisitoire du Procureur de la République,
mais une grande partie de la population estime qu’à défaut d’établir sa culpabilité, sa
responsabilité dans ce scandale reste posée, puisqu’elle a été présidente du conseil
d’administration de Petrobras entre 2003 et 2010.
En dehors de ce scandale, le modèle économique brésilien semble battre de l’aile
depuis 2011, notamment en raison de la difficulté du gouvernement à appliquer de
nouvelles réformes, de la rigidité des politiques interventionnistes, du capitalisme
d’État ainsi que de la manipulation des marchés. De plus, la croissance économique
du pays est actuellement en berne ; loin des 7,5 % de croissance enregistrée
en 2010, le géant sud-américain a clôturé l’année 2014 avec une croissance presque
nulle (+0,1 %) et pourrait connaître une récession en 2015, selon les prévisions de
la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc). Les
chiffres avancés par l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE)
indiquent par ailleurs que l’inflation y a grimpé de 1,24 % en janvier 2015 et s’établit
à plus de 7 % sur douze mois, une première depuis mai 2005. Pour mieux faire face
à cette situation, le gouvernement a mis en place un plan de redressement des
finances publiques au début de l’année 2015, lequel semble plutôt avoir ravivé la
colère de la population, qui a décidé de descendre massivement dans les rues pour
dénoncer les supposées malversations de la présidente Rousseff.
Quand la légitimité politique de Dilma Rousseff est menacée
Dans les systèmes politiques dits démocratiques, il est fréquent que les chefs d’État
ou de gouvernement obtiennent de mauvais résultats dans les sondages d’opinion
parce que la majorité de la population dit ne pas leur faire confiance, désapprouve
leur politique ou n’apprécie pas leur personnalité. Dans certains cas, de tels résultats
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peuvent conduire à une « crise » de légitimité politique, si l’on considère qu’ils
traduisent une crise de confiance généralisée au sein d’une population qui souhaite
envoyer un signal fort à ses dirigeants.
Cela semble être actuellement le cas au Brésil, où les récents sondages réalisés par
l’Institut Datafolha indiquent que la cote de popularité de la présidente Rousseff a
considérablement baissé, et ce, à peine trois mois après le début de son second
mandat. Alors qu’en décembre 2014, près de 42 % des Brésiliens qualifiaient sa
présidence de « bonne » ou « excellente », Mme Rousseff a obtenu à peine 23 %
d’opinions favorables en mars 2015. Ce constat devient encore plus inquiétant
lorsqu’on se rend compte que même dans le nord du pays – qui est considéré
comme l’un des bastions politiques du PT – la popularité de la présidente a chuté
considérablement, passant de 53 % en décembre 2014 à seulement 29 % en février
2015. À ce tableau quelque peu sombre sont venus s’ajouter les mouvements de
protestations que le pays connaît depuis mars dernier et à travers lesquels des
milliers de Brésiliens contestent ouvertement la légitimité de la présidente Rousseff,
allant jusqu’à réclamer sa destitution. Il faut d’ailleurs noter qu’à la suite de ces
manifestations, les sondages réalisés en mars 2015 indiquent que près de 62 % de
la population estime désormais que sa présidence est « mauvaise » ou « nulle ». De
plus, plusieurs Brésiliens considèrent que sa courte victoire sur son rival socialdémocrate,
Aécio Neves, lors des élections présidentielles de 2014 (51,6 % des voix
contre 48,3 %), lui confère une moindre légitimité démocratique.
Quoi qu’il en soit, la question de la légitimité démocratique de la présidente Rousseff
ne se pose plus, tout au moins si l’on tient pour acquis qu’elle a remporté
honnêtement les élections du 26 octobre 2014, lesquelles ont été jugées libres et
transparentes par les observateurs nationaux et internationaux. Malgré son déficit de
légitimité politique, qui ne doit pas être confondue avec la légitimité du système
politique brésilien en tant que tel, Mme Rousseff reste légalement dépositaire du
pouvoir, et à ce titre, elle bénéficie pleinement de toutes les prérogatives associées à
sa fonction de chef d’État. La population semble d’ailleurs avoir tenu compte de cet
aspect, puisqu’elle a réclamé la destitution de la présidente Rousseff par la voie
d’une procédure légale institutionnalisée (l’impeachment).
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Quel avenir pour la présidente Dilma Rousseff ?
En ce qui concerne le Brésil, il faut remonter aux années 1990, notamment avec la
destitution par voie d’impeachment du président Fernando Collor de Mello, pour
mieux percevoir la portée symbolique des manifestations de masse comme celles
que connaît le pays depuis mars dernier. Un an seulement après le début de son
mandat, M. Collor avait été impliqué dans un scandale de corruption qui avait
conduit à sa destitution par le Congrès, ceci conformément aux revendications de la
population, qui avait organisé un mouvement de protestation à cette occasion. Or,
comme le souligne François-Michel Le Tourneau, qui est professeur à l’Institut des
hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), « si le prétexte était facile à trouver
pour Fernando Collor, politicien notoirement véreux, il n’en va pas de même avec
Dilma Rousseff, pour l’instant épargnée judiciairement par le scandale Petrobras, et
dont le premier mandat a plutôt été marqué par sa volonté d’assainir la vie politique
(sept ministres virés sans ménagement) ». Dans un même ordre d’idées, bien que
l’opposition encourage subtilement les mouvements d’humeur, elle ne semble pas
être tout à fait acquise à la cause de la destitution. Jusque-là, elle a simplement saisi
officiellement la Cour suprême du pays afin qu’elle enquête sur la supposée
implication de la présidente Rousseff dans le scandale Petrobras. À défaut d’un
élément nouveau pouvant compromettre la présidence de Dilma Rousseff, il apparait
donc très probable qu’elle sera en mesure de poursuivre son mandat.
Cependant, elle devra composer avec un environnement difficile, caractérisé entre
autres par son déficit de légitimité politique ainsi que par la récession économique
que traversera probablement le pays. Tout porte également à croire qu’à court
terme, il lui sera plus difficile de convaincre la population, y compris ses collègues du
PT, du bien-fondé de ses politiques. En effet, la politique d’austérité qu’elle a mise en
place en début d’année entre en totale contradiction avec ses promesses de
campagne, ce qui peut donner une impression de trahison à ses électeurs. Il n’est
toutefois pas exclu que malgré cette conjoncture particulière, Mme Rousseff puisse
adopter avec succès certaines réformes, comme l’avait déjà fait le président
Fernando Henrique Cardoso (1995-2003) alors que 56 % de Brésiliens qualifiaient sa
présidence de « nulle » à la suite de la dévaluation du Réal en 1999.
Cyprien Bassamagne Mougnok est candidat au doctorat en études internationales et
auxiliaire de recherche au Centre d’études interaméricaines