(Ottawa) La crise politique en Afghanistan, où les talibans ont repris les rênes du gouvernement, vient chambouler la campagne électorale pour le gouvernement Trudeau, au terme d’un second mandat d’un peu moins de deux ans où les occasions de célébrer ont été plutôt rares en matière d’affaires étrangères.

Le gouvernement libéral n’a pas obtenu le siège qu’il briguait au Conseil de sécurité des Nations unies, et il a échoué à faire libérer les « deux Michael » détenus en Chine depuis près de 1000 jours. Et après six ans au pouvoir à Ottawa, les libéraux n’ont toujours pas énoncé clairement leur doctrine en matière de politique internationale.

Quel bilan dresser du dernier mandat du gouvernement Trudeau, et quels changements de cap pourraient opérer les conservateurs s’ils remportent la campagne du 20 septembre prochain ? La Presse a discuté avec quelques intervenants dans le cadre de cette revue internationale qui n’a nullement la prétention d’être exhaustive*.

Défaite à l’ONU

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En juin 2020, le Canada a échoué à retrouver une place à la table du Conseil de sécurité des Nations unies pour le mandat 2020-2021.

Le Canada devait être « de retour », avait promis Justin Trudeau en 2015. Or, ce slogan est revenu hanter le gouvernement, qui a encaissé en juin 2020 un gênant camouflet diplomatique en échouant à retrouver une place à la table du Conseil de sécurité pour le mandat 2020-2021. « Ça, c’est le plus gros échec, matériellement et symboliquement, pour le Canada et pour Justin Trudeau lui-même. Il avait choisi la course de 2020 alors que normalement, un gouvernement prévoit 10 ou 15 ans comme échéancier. Justin Trudeau, lui, voulait avoir une chance d’être toujours premier ministre et réussir là où Stephen Harper avait échoué [en 2010] », explique en entrevue Justin Massie, professeur au département de science politique de l’UQAM. Les libéraux ont cherché à minimiser la défaite en faisant valoir que les démarches, bien qu’infructueuses, avaient permis au Canada de tisser de nouvelles alliances. Ce sont la Norvège et l’Irlande qui ont décroché les deux sièges en jeu.

La Chine, cette épine dans le pied

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Justin Trudeau et le président de la Chine, Xi Jinping, lors d’une rencontre à Pékin, en août 2016

S’il y a un pays qui a donné du fil à retordre au gouvernement, c’est celui que dirige Xi Jinping d’une main de fer. Il détient arbitrairement deux Canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig, depuis bientôt 1000 jours – avant le début de la campagne électorale, le premier a été déclaré coupable d’« espionnage » –, a fustigé le Canada pour l’adoption, à l’initiative d’Ottawa, d’une déclaration multilatérale contre la détention arbitraire, en février dernier, et a tancé les élus de la Chambre des communes après que ceux-ci eurent approuvé une motion reconnaissant l’existence d’un génocide contre les Ouïghours au Xinjiang (le cabinet Trudeau en entier s’est abstenu lors de ce vote)… Et c’est sans compter que Pékin tape du pied en attendant la décision sur la participation du géant Huawei au déploiement du réseau 5G en sol canadien. Le dirigeant conservateur, Erin O’Toole, qui a fait de la Chine son enjeu de prédilection en matière d’affaires étrangères depuis qu’il a été élu à la tête du parti, a promis de fermer la porte du Canada à double tour à l’entreprise de télécommunications. « On travaillera aussi à se joindre aux États-Unis, à l’Australie, l’Inde et au Japon au sein du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité [groupe mis sur pied pour contrer la Chine], et on quittera la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures », dit en entrevue Michael Chong, porte-parole conservateur sur les enjeux internationaux. « De façon constante, depuis deux ans, la Chine a menacé nos intérêts, nos concitoyens, notre économie et nos valeurs. C’est pour cela qu’on l’a prise pour cible au cours de la dernière année », précise-t-il.

Israël et la Palestine

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Marc Garneau, ministre canadien des Affaires étrangères, et Riyad Al-Maliki, ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, lors d’une rencontre à Ramallah, en Cisjordanie, au début du mois de juillet dernier

Un gouvernement O’Toole déplacerait l’ambassade du Canada en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. « C’est notre position, et elle est très claire. On va aussi revenir à la position de longue date du Canada qui consiste à voter contre les résolutions anti-Israël à l’ONU », soutient l’élu ontarien sortant Michael Chong. De son côté, le premier ministre Justin Trudeau a toujours dit qu’il n’avait pas l’intention de trouver une nouvelle adresse pour l’ambassade. Entre conservateurs et libéraux, les enjeux d’Israël et de la Palestine ont fait des flammèches ces derniers mois ; avec le passage chez les libéraux de l’ancienne verte Jenica Atwin, qui a employé le terme « apartheid » afin de qualifier la politique de l’État hébreu, les troupes de Justin Trudeau ont été accusées de dérouler le tapis rouge à « une autre députée anti-Israël ».

Raïf Badawi, oublié dans sa geôle ?

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Ensaf Haidar, conjointe de Raïf Badawi, tentera sa chance en politique lors des prochaines élections, sous la bannière du Bloc québécois

« Je pense qu’on parle moins de Raïf à cause de la pandémie. Par contre, à Sherbrooke, tous les vendredis, il y a une veille. Ça n’a jamais arrêté », dit sa femme Ensaf Haidar à l’autre bout du fil. Autour du 28 février 2022, la peine d’emprisonnement de 10 ans dont a écopé le blogueur dissident Raïf Badawi prend fin. En théorie, du moins. Car au royaume de Mohammed ben Salmane, rien n’est certain. Depuis que Justin Trudeau a été élu, Ensaf Haidar l’a rencontré à plusieurs reprises. « Mais rien n’a bougé », regrette celle qui tente sa chance en politique pour ce scrutin, sous la bannière du Bloc québécois. « Le Québec est d’accord pour offrir la citoyenneté à mon mari, mais du côté d’Ottawa, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté [Marco Mendicino] ne réagit pas », dit-elle. En janvier dernier, les députés des Communes ont adopté à l’unanimité une motion bloquiste qui exhortait le gouvernement Trudeau à accorder la citoyenneté canadienne à Raïf Badawi. Des sources avaient à l’époque indiqué à La Presse Canadienne que cette motion n’avait pas force de loi.

La crise afghane

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Un combattant taliban patrouille à Wazir Akbar Khan, dans la ville de Kaboul, en Afghanistan.

Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a provoqué une onde de choc à travers le monde, et il s’est invité dans la campagne électorale fédérale. Après que son ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, eut déclaré sur les ondes de la CBC qu’il faudrait « attendre » avant de dire si Ottawa reconnaîtrait un gouvernement taliban à Kaboul, son patron Justin Trudeau l’a corrigé. « Le Canada n’a aucune intention de reconnaître un gouvernement taliban », a-t-il assuré, mardi. Il avait été devancé par son rival conservateur, Erin O’Toole, qui s’était empressé de manifester sa position dès lundi soir. L’enjeu de l’accueil de réfugiés afghans et de ceux qui, sur le terrain, pendant la guerre, ont aidé les militaires occidentaux sera à suivre dans les prochains jours de la campagne électorale.

Quelle vision pour la politique étrangère ?

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Au fil de ce mandat de moins de deux ans, le Canada a eu à deux diplomates en chef : François-Philippe Champagne et Marc Garneau. Avant eux, Stéphane Dion et Chrystia Freeland étaient titulaires du portefeuille des Affaires mondiales. Selon Michael Chong, ce jeu de portes tournantes a brouillé la cohérence du message véhiculé par le Canada sur la scène mondiale. De son côté, Justin Massie reproche aux libéraux d’être dépourvus de véritable « orientation stratégique » et de n’avoir accouché d’aucun énoncé digne de ce nom depuis un discours de Chrystia Freeland en Chambre en juin 2019. « Cette absence, selon moi, pose problème, parce qu’après ça, on fait des politiques sectorielles, par exemple la politique d’aide internationale féministe – ça peut être très bien, mais ce n’est pas cohérent, on n’a pas une approche pangouvernementale », fait-il valoir.

La Presse a demandé à plusieurs reprises, depuis le mois de juillet, un entretien avec le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, ou avec son secrétaire parlementaire, Rob Oliphant. Ces requêtes sont demeurées lettre morte.