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Comment gérer à distance en temps de crise : un mode d’emploi

Jusqu’au début de cette pandémie, le télétravail était volontaire et désiré tant par les salariés qui y adhéraient, voire qui le demandaient à leur employeur, que par les organisations qui en faisaient un choix stratégique de recrutement ou afin d’économiser sur les frais immobiliers, par exemple.

D’un point de vue de la recherche universitaire, le sujet a été maintes fois traité : d’un point de vue du salarié, ou de celui de l’employeur, les meilleures pratiques, l’évolution nationale ou internationale de ce phénomène et finalement la digitalisation rendant le télétravail plus efficace ou non.

À titre de professeures chercheures membres du comité scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires ainsi que responsables de l’axe « enjeux humains » à la Chaire de recherche en gestion de projet, nous souhaitons apporter à cette discussion le point de vue du management en mode de télétravail dans un contexte de crise, notamment celle de la Covid-19.

Cette pandémie a changé les prémisses de base, c’est-à-dire que le télétravail est subi, non choisi et non stratégiquement instauré.

Les cadres qui transitent, soit dans nos séminaires de MBA local et international, ou encore les équipes de gestionnaires de projet que nous observons dans nos programmes de recherche vivent des situations certes différentes, mais ils partagent tous un même dénominateur, qu’ils soient en Suisse, en France ou au Canada. Le contexte pandémique est mondial et le télétravail, qui apparaissait impossible pour certains métiers ou pour certaines organisations, a été instauré à l’intérieur de trois jours pour la majorité d’entre nous… et ça semble marcher !

Une grande adaptabilité

Ce qui est époustouflant de constater est l’adaptabilité et la rapidité, ou plutôt la collaboration des travailleurs à se contraindre à un nouveau mode de travail. Les organisations se sont adaptées aux directives gouvernementales. Par exemple, les mécanismes de réponse à des appels d’offres par documents physiques ont connu des ajustements pour permettre aux projets de continuer malgré tout.

Une gestionnaire de premier niveau de Medtronic, une multinationale présente dans plusieurs pays, dont la Belgique, la France et le Canada, qui produit des ventilateurs respiratoires maintenant en demande mondialement, nous partageait que pour la première fois de sa vie, elle sentait son utilité et le sens de son travail. Elle n’avait jamais travaillé à distance, n’ayant jamais cru cela compatible avec ses responsabilités.

Un vice-président TI, cloîtré dans son bureau improvisé « garde-robe » dans son appartement parisien, avec ses quatre enfants à la maison, nous soulignait la fierté de son équipe d’avoir pu contribuer à la mise en place des systèmes permettant à leurs clients de se mettre en ligne rapidement. Paradoxalement, sa propre organisation, qui ne voulait aucun télétravail pour des raisons stratégiques et humaines, a dû adopter les mêmes pratiques et outils qu’ils implantent chez leurs clients. « Somme toute, disait-il, c’est une expérience cohérente et positive pour nous. »

La propension ou non d’un employeur à favoriser le télétravail nous ramène au concept de contrôle sur la prestation de travail. Il est donc question de style de gestion, bien que plusieurs emplois étaient, à priori, non adaptés à cette flexibilité du lieu de travail.

Avoir confiance

Les cadres qui manquent de confiance envers leurs équipes risquent plus gros en termes de sentiment de perte de contrôle.

L’exercice du pouvoir par les règles, les procédures et la surveillance deviennent ici un handicap. Le contexte actuel de télétravail s’inscrit dans une trame de fond d’émotions en dents de scie vécues par les salariés et les cadres. Ils réagissent différemment aux événements, au confinement puis au processus de déconfinement.

À ces émotions de peur, de colère, d’impatience ou d’apparente neutralité s’ajoutent des réactions de déni, de panique ou de super performance. Ce sont souvent dans des situations stressantes que le leader se démarque du gestionnaire. Adapter ses interventions dans le contexte actuel, si on veut maintenir ses employés en santé physique et psychologique jusqu’au retour à la nouvelle normalité, devient une prémisse essentielle afin de minimiser les impacts potentiels des multiples stresseurs, qui pourraient avoir une incidence sur la santé des employés.

Arrêtons de prétendre que nous opérons à distance comme en temps normal. La situation qui prévalait avant la crise dans nos pratiques et habitudes de travail n’existe plus et ne reviendra pas de sitôt.

Rester agile

Les organisations qui s’en sortiront haut la main de cette crise sont celles qui auront fait attention à leurs employés sur plusieurs plans. Elles auront su combiner confiance et autonomie en gérant leurs employés par objectifs (raisonnables) avec des délais flexibles, en adoptant une communication cohérente et claire pour éviter les dynamiques de groupe négatives.

Cette forme de gestion s’apparente aux pratiques de gestion haute performance, lesquelles sont axées sur trois principes, soient l’accent sur le capital humain, l’engagement des équipes et leur motivation au travail.

Lorsque bien établies, ces différentes configurations remplaceraient, voire surpasseraient les traditionnelles mesures de contrôle. Par ailleurs, on nous rapporte en Suisse que beaucoup de patrons laissent leurs employés décider s’ils viennent ou non au travail « mais eux (dirigeants) y seront » par ailleurs. Cela contribue à augmenter la pression indûment chez les travailleurs décidant de rester à domicile, nous partagent-ils.

La surcharge de travail est bien réelle dans notre contexte de crise. Il est primordial de communiquer les nouvelles normes qui vont réguler les communications virtuelles et les autres mécanismes de transfert et de partage d’information. Les organisations ont tout avantage à miser sur les compétences qui font leur succès pour co-créer avec leurs employés un niveau de performance adapté à la réalité personnelle de chacun.

L’agilité organisationnelle prend ici tout son sens et les organisations qui partagent d’ores et déjà cette philosophie rencontrent moins de difficultés à naviguer cette transition obligée.

Préserver le capital humain

Qui plus est, à la surcharge de travail pour certains s’ajoutent nombre d’enjeux comme la conciliation famille-travail ou plûtot l’interférence travail-famille, dans un contexte où plusieurs se voient soumis à une explosion de demandes en lien avec les charges familiales.

Certains s’occupent durant la journée de jeunes enfants qui fréquentent normalement les services de garde. Pour les travailleurs ayant des enfants d’âge scolaire s’ajoute la responsabilité éducationnelle, où compétences parentales ne riment pas nécessairement avec compétences pédagogiques. Cela accroît le sentiment de détresse. La pression exercée sur les femmes, qui effectuent une plus grande proportion des tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants que les hommes, les rend plus sensibles à une plus grande détresse psychologique en cette période de crise.

Aussi, l’organisation spatiale et ergonomique du travail à domicile ainsi que la disponibilité et l’aisance face à l’utilisation des technologies ne doivent pas être minimisées. Des études lient, directement ou indirectement, ces variables au bien-être des travailleurs.

Un récent sondage publié en mai 2020 par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) fait par ailleurs état d’une augmentation accrue des niveaux de stress perçu des Canadiens depuis le début de la pandémie. Bien que la responsabilité de la santé et du mieux-être des employés ne repose pas entièrement sur l’employeur, plusieurs variables peuvent être considérées afin de minimiser les risques sur lesquels les gestionnaires ont un contrôle, afin de préserver leur capital humain.

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