Opinion : Syrie

Faut-il craindre les attaques russes à partir de l’Iran ?

Nouvelle évolution surprenante dans le théâtre syrien : pour la deuxième journée consécutive, les Tupolev et les Soukhoï russes ont attaqué les ennemis de Bachar al-Assad à partir d’une base aérienne de l’Iran.

Ce qui était jusqu’à maintenant une coordination militaire fondée sur une concordance de leurs intérêts stratégiques prend aujourd’hui la forme d’un véritable partenariat, ce qui ne manque pas de soulever des inquiétudes.

Militairement, en termes de force de frappe en Syrie, les Russes ne gagnent pas un avantage considérable en décollant de la base de Hamadān, sinon des économies substantielles de carburant.

C’est avant tout un message politique que la Russie envoie à ceux qui soutiennent les rebelles, principalement la Turquie, l’Arabie saoudite et les États-Unis.

Des trois provinces frappées par les attaques lancées de l’Iran, Alep, Idlib et Deir Ezzor, une seule (la dernière) se trouve dans la zone encore contrôlée par l’État islamique. La lutte contre le terrorisme islamique sert de justificatif, mais l’enjeu demeure celui de l’orientation géopolitique d’un État coincé entre puissances sunnites (Arabie saoudite, Turquie) et chiites (Iran, Irak), situé à mi-chemin entre l’Europe et les vastes réserves gazières du golfe Persique.

La trêve négociée entre Moscou et Washington en février 2016 n’aura pas tenu longtemps. Les combats se sont intensifiés autour de la ville d’Alep, dernier bastion des rebelles sunnites n’étant pas soumis à l’autorité de l’État islamique. Ceux-ci ont récemment ouvert une brèche, brisant l’état de siège dans lequel se trouvait la ville. Pour prévenir un renversement embarrassant de la situation et sécuriser ses acquis militaires en Syrie, dont sa base navale à Tartus, mais surtout son imposant système de défense antiaérienne S-400 installé en décembre 2015, Moscou est aujourd’hui contraint d’intensifier ses bombardements.

UNE VICTOIRE BIEN INCERTAINE

La Russie est-elle en voie de devenir le principal acteur du jeu syrien ? Le pari est risqué.

En marge d’un réchauffement hautement médiatisé par la récente visite officielle en Russie du président Erdogan, Moscou peut certainement espérer arracher de nouvelles concessions à la Turquie, durement ébranlée par la tentative de coup d’État en juillet et ses incidences négatives sur ses relations avec Washington.

Le président turc a ouvertement dénoncé le manque de soutien des alliés de l’OTAN lors de ce coup avorté, qu’il a attribué à un réseau religieux contrôlé par son ancien allié Fethullah Gülen, aujourd’hui en exil aux États-Unis. C’est dans ce nouveau contexte que la Turquie a accepté l’offre de la Russie de passer l’éponge sur l’épisode de son chasseur abattu en novembre 2014, et de rebâtir les liens économiques gravement endommagés. Or, le rapport de force entre les deux pays n’est plus le même et Moscou compte en profiter, exigeant notamment de la Turquie qu’elle ferme ses frontières avec la Syrie.

La tâche sera toutefois beaucoup plus ardue en ce qui concerne l’implication de l’Arabie saoudite, car rien n’indique à ce jour que Riad soit prêt à baisser les bras devant le spectre d’un axe géopolitique chiite Iran-Irak-Syrie qui se rapproche de plus en plus près du pôle Russie-Chine, notamment par l’admission, prévue l’année prochaine, de l’Iran au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai.

Bien entendu, les États-Unis et leurs alliés disposent d’une supériorité militaire et économique indiscutable. La domination du rôle de la Russie en Syrie n’est possible que dans la mesure où les États-Unis acceptent un désengagement progressif qui ressemblerait à un aveu de faiblesse.

Or, alors même que la Russie est dénoncée aux États-Unis comme une dangereuse puissance kagébiste qui s’immisce dans son processus électoral, ce sera politiquement difficile. Même si le dialogue se poursuit avec Moscou, notamment pour l’ouverture d’un corridor humanitaire pour la ville d’Alep, le risque d’escalade demeure entier.

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